mercredi 23 février 2011

Luc Larochelle passe à côté de la question

Déception ce matin en lisant ma Tribune. Luc Larochelle joue sur la fibre sentimentale des lecteurs et se borne à faire l'apologie de Marie-Claude Bibeau, conjointe du maire Bernard Sévigny.

La chronique de M. Larochelle fait suite à la publication de mon texte qui questionnait l'à-propos de la nomination au cours des derniers mois de Mme Bibeau à deux conseils d'administration d'importance liés à la Ville. Mon texte soulignait la pratique acceptée à Sherbrooke que des conjoints se partagent des fonctions dans le même champ d'influence. Je faisais aussi référence au conseiller Serge Paquin qui est le conjoint de la greffière de la ville, Mme Isabelle Sauvé. Rappelons que nous parlons ici de la sphère politique municipale, et non de l'entreprise privée.

Dans son texte de ce matin, M. Larochelle nous présente le curriculum vitae (CV) de Mme Bibeau et nous raconte les grandes lignes de son histoire d'amour : "Je n'avais pas tellement d'affinités avec Bernard", "Nous n'avons jamais cherché à cacher notre relation, nous nous sommes présentés main dans la main l'été dernier au lancement d'Omaterra ", etc.

Malheureusement, M. Larochelle évite la question de fond. Quand on occupe des postes dans la sphère publique est-il correct d'un point de vue éthique d'accepter que son conjoint occupe un poste dans la même sphère d'influence ? Selon moi la réponse est non. Et comme je le mentionnais dans ma lettre de la semaine dernière, en matière de conflit d'intérêt, l'apparence de conflit d'intérêt est aussi importante que la possibilité de conflit elle-même.

J'ai travaillé 15 ans comme porte-parole de la Société Canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) à Sherbrooke. Durant toutes ces années, il m'était interdit de m'impliquer en politique municipale à cause de l'apparence de conflits d'intérêt. Par exemple, si j'avais été conseillère municipale en plus de travailler à la SCHL, les gens auraient pu se demander si mes décisions d'élue en ce qui a trait au logement social à Sherbrooke étaient gouvernées par le bien-être des Sherbrookois ou par les intérêts de la SCHL. Même si ce genre de suppositions était tiré par les cheveux, leur existence constituait une raison suffisante pour un ministère avec un code d'éthique bien implanté de restreindre la liberté d'action d'un employé. J'avais alors un choix à faire : rester et respecter le code d'éthique ou quitter et profiter de ma liberté de parole et d'action.

Au lieu de faire jouer les violons pour nous convaincre que la nomination d'un conjoint dans le monde municipale n'est pas une question pertinente si la personne est compétente, M. Larochelle aurait pu utiliser sa tribune pour faire avancer le débat.

Tout d'abord, à eux deux, Sherbrooke Innopole et Destination Sherbrooke comptent combien de postes sur leur C.A. qui ne sont pas réservés à des élus ou à des personnes qui occupent une fonction particulière ?Supposons que l'on en ait répertorié 20 (c'est sûrement moins que cela). Ne peut-on trouver dans tout Sherbrooke, qui compte plus de 140 000 habitants, 20 personnes compétentes qui n'arrivent pas de l'entourage rapproché du maire ou des élus ? Qu'on me fasse cette démonstration et j'accepterai la nomination de Mme Bibeau. On essaie de nous faire croire que Sherbrooke est un village, qu'elle doit se comporter comme tel. Ce n'est pas vrai. Sherbrooke se situe dans les cinq premières villes en importance au Québec. J'ai hâte que cela paraisse.

Ensuite, M. Larochelle aurait pu s'intéresser de près au code d'éthique que se sont donné les élus de Sherbrooke, il y a plusieurs années déjà. L'opinion d'un spécialiste en éthique des organisations municipales aurait sûrement pu jeter un éclairage intéressant sur le débat.

Mais non, on reste dans le registre du portrait attendrissant. Pourquoi se méfier ? En fait, M. Larochelle va même jusqu'à dire : "S'ils abusent un jour de leur influence, que celle-ci devient éxagérée et déplacée, Mme Bibeau et M. Sévigny seront dénoncés et sanctionnés." L'influence est par définition quelque chose de caché. Donc, il serait surprenant que quelqu'un puisse prouver hors de tout doute un quelconque trafic d'influence. Regardez tout ce qui se passe au Québec à ce chapitre. On parle d'enveloppes brunes, de coûts de travaux éhontément élevés, etc. Qui a pu prouver quoi que ce soit ? Il faut éviter de se retrouver dans ce type de situation. On appelle cela de la prévention, de l'éthique. En fait, on aime se plaindre de la corruption au Québec, mais on n'aime pas chercher comment elle peut se développer et comment on peut la prévenir.

Enfin, dernier appel aux sentiments dans ce texte, on nous dit que M. Sévigny est "respectueux de l'autonomie des femmes et de la place qu'elles occupent dans la société" et l'article se termine sur cette phrase : "Pourquoi d'ailleurs faudrait-il soustraire à la politique le principe de l'égalité des chances". Dans ce cas-ci, il faut déterminer ce qui a préséance : la place des femmes ou l'éthique dans l'accomplissement d'une fonction publique ? Mme Bibeau pourrait continuer à réseauter et à faire bénéficier la société de ses compétences dans des sphères d'activités autres que celle du monde de la politique municipale. Ses chances, elle ne les perd pas en choisissant d'autres cibles d'action, surtout avec ses grandes compétences. Cela lui demande peut-être juste de chercher un peu plus, d'attendre quelques mois additionnels.

Vraiment, M. Larochelle est passé à côté de la question en ne traitant que l'aspect humain de la chose. Le débat se situe à un autre niveau, malheureusement.

2 commentaires:

  1. Bonjours Hélène!
    Est-ce que M.Larochelle a reçu ce texte?
    J'avais remarqué la tendance flateuse envers Marie-Claude Bibeau en lisant rapidement le texte de M.Larochelle .
    En lisant le vôtre, je réalise bien que cette tendance semblait avoir le dessus sur la vrai question.
    Si on fait un recul, il y a probablement bien d'autres situations semblables qui ont existées ou qui existent encore dont on pourrait douté d'apparence de conflit d'intérêt.

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  2. Bonsoir,

    Je n'ai pas envoyé ce billet à M. Larochelle. Pour le reste, je suis parfaitement d'accord avec vous.

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