vendredi 13 avril 2012

Tout le monde peut-il réellement être premier ministre ?

“On ne peut pas comparer un recteur avec un premier ministre. On n’a pas besoin d’une aussi grande qualification pour devenir premier ministre que pour diriger une université. » Voilà les paroles de l’économiste Luc Savard, rapportées par Luc Larochelle. Selon M. Savard, c’est ce qui justifierait que le premier ministre du Québec gagne 175 000 $ par année alors que le recteur de l’université Bishop en fait 250 000 $ et que Réjean Hébert recevait 235 000 $ à titre de doyen de la faculté de médecine de l’université de Sherbrooke.

Cette affirmation n’a de sens que si l’on joue sur les mots, c’est-à-dire si l’on donne au terme qualification le sens de diplôme et/ou d’expérience spécifique sur le marché du travail. Ce résultat s’explique parce que les recteurs sont choisis suite à un affichage de poste où les universités précisent leurs exigences, alors qu’un premier ministre est nommé suite à une élection où tous peuvent se présenter, diplôme ou pas.  Dans ce sens, il est vrai que les exigences sont plus grandes pour le recrutement d’un recteur.

Cependant, si l’on considère le travail à accomplir, il est insensé de maintenir que le poste de premier ministre demande moins de qualifications, dans le sens de compétences ou habiletés, que celui de recteur d’université ou de doyen de faculté.

Une des difficultés pour un premier ministre, c’est la multiplicité des domaines d’interventions (éducation, transport, santé, redistribution du revenu, énergie, etc.) et la nécessité de faire des arbitrages entre chacun.  Les recteurs, eux, se concentrent sur un champ plus restreint d’interventions : enseignement, recherche, recrutement, financement, pour un seul établissement, et dans un seul domaine principal : l’éducation.  La complexité est donc moindre.

Un autre défi pour un premier ministre c’est de porter la responsabilité de l’ensemble de ce qui se fait dans l’appareil gouvernemental et cela 24 heures sur 24, sept jours sur sept et pratiquement 365 jours par année. Et d’en répondre devant les médias. Les recteurs officiant dans un milieu plus fermé et moins étendu font les manchettes beaucoup moins souvent.

Certains diront que ce n’est pas vraiment le premier ministre qui voit à la gestion de l’ensemble de l’appareil gouvernemental et politique puisqu’il est encadré par des ministres et des hauts fonctionnaires. De la même façon, on peut dire que le recteur ne fait pas tout le boulot à lui seul.  À l’université de Sherbrooke, par exemple, la rectrice est appuyée dans son travail par six vice-recteurs et un paquet de hauts dirigeants.

Question leadership, encore une fois, la tâche est plus difficile pour un premier ministre  que pour un recteur. Pour justifier ses choix, le premier ministre doit aborder des sujets complexes avec une population parfois peu connaissante en la matière et souvent peu intéressée à investir du temps afin de comprendre réellement le fond du problème et tous les aspects reliés à celui-ci. Le recteur, pour sa part, s’adresse généralement à un auditoire avec un niveau de connaissances plus élevé. 

Les propos de M. Savard nous font prendre connaissance qu’on sous-estime peut-être le travail qui échoit aux élus politiques et que c’est peut-être la raison pour laquelle les résultats sont parfois décevants. Devrions-nous établir des exigences minimales pour occuper un poste de député, de ministre, de premier ministre, de maire ? Avec la complexification de la société et la présence plus importante de l’État dans l’économie, je pense qu’il serait peut-être temps de se pencher sur cette question.  Et alors, peut-être que la logique reprendra le dessus et que le premier ministre aura droit à un salaire plus élevé que les recteurs ou les doyens.
Article paru dans La Tribune.